MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

lundi 20 juin 2011

P. 45. César Fauxbras : "La Débâcle"

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César Fauxbras,
La Débâcle. Les raisons, exposées par lui-même, qu'avait au mois de mai le soldat français réserviste de ne pas vouloir mourir pour Dantzig,
Editions Allia, 2011, 158 p.

Résumé :

- "Un nombre impressionnant de soldats français, dont énormément de réservistes, sont faits prisonniers par l'armée allemande lors de l'été 40. Alors qu'il est lui-même fait prisonnier à Ledringhem, près de Dunkerque, César Fauxbras se met à consigner tous les propos de ses compagnons de fortune. La prison se fait lieu de libération de la parole, jusqu'alors bâillonnée par le "devoir" de réserve et la peur des représailles. Les opinions sondées sont celles d'hommes habituellement muets, s'exprimant ici sans détours, bien loin du panache militaire et des opinions officielles évoquant notamment la vaillance des soldats de l'armée française. Le ton est enlevé, gouailleur. Il sert une autre vision de l'Histoire. Les soldats cherchent à comprendre la situation, à expliquer les raisons de la défaite et de leur détention. Deux causes sont invoquées : la faiblesse de l'armée française face à l'efficacité de l'armée allemande ou bien le défaut de motivation des trouffions. C'est cette vie de trouffion qui est ici rapportée, les inquiétudes des uns, les regrets des autres – notamment le tiercé du dimanche ou l'éventuel raccourcissement du Tour de France causé par cette guerre… Les plaisanteries qui fusent sont des merveilles de français argotique. Des projets d'évasion franchement loufoques se profilent. Le texte montre au final les limites du patriotisme et de la désertion. Grand roman de la débâcle, écrit par les mobilisés eux-mêmes, qui se pensent victimes d'une vaste "couillonnade"…

4e de couverture :

- "Où qu’ils vont le mettre, ce coup-ci, le troufion inconnu ?
A Perpignan ?"

L’auteur selon les Ed. Allia :

- "Publiant sous le pseudonyme de César Fauxbras, Gaston Sterckeman (1899-1968) reste un journaliste et auteur méconnu. Pourtant, il fut un reporter de premier plan parce que lui-même acteur. En 1914, il est incorporé comme mousse à bord de l'Armorique à Brest. Entre 1915 et 1916, il sert sur le cuirassé Danton, expérience qui lui inspire un roman : Jean Le Gouin. Affecté en 1919 sur les bases navales de Bizerte et Sidi Abdallah, il recueille les témoignages directs sur les mutineries ; ce sera Mer Noire. Après la guerre de 14, il cofonde le Syndicat CGT des Officiers de la Marine Marchande au Havre puis, devenu expert-comptable, multiplie les écrits anti-militaristes. En 1940, il est envoyé dans un stalag en Autriche."

Courriers du Stalag XVII A - Kaisersteinbruck (Autriche) derrière les barbelés duquel fut enfermé Gaston Sterckeman (Doc. et mont. JEA/DR).

Antisémitisme dès le 21 juin 1940
au Stalag XVII A
"21 juin

- J'ai eu un moment de trouille quand on est passé devant l'expert aryen. Les copains, il les avait à peine regardés, mais à moi, il m'a dit, ce mauvais, avec l'air d'être en colère : "Comment que vous appelez ? Clin ?" J'y ai répondu : "Oui, Clin Alfred, comme vous voyez sur le papier." "Et d'où que vous êtes ?", qu'il me demande. "De la Sarthe", que j'y réponds. "Et qu'est-ce que vous faites comme métier ?", qu'il me demande. "Garde-chasse", que j'y réponds. "C'est pas vrai, vous êtes chuif !", qu'il se met à gueuler, en plein dans ma figure. Et il me commande : "Laissez tomber cette couverture", et me voilà donc tout nu. Il me dit : "Couvrez-vous !..." Je me rentortille dans ma couverture. Il me dit : "Pourquoi que vous vous appelez Clin si vous n'êtes pas chuif ?" J'y réponds : "Parce que mon père s'appelle comme ça, Clin Alfred. Chez nous, vous avez toujours le même nom que votre père." Il me dit : "Et votre mère, comment qu'elle s'appelle de son nom de jeune fille ?" J'y réponds: "Ma mère, c'est une demoiselle Bastard, Marie-Louise de son petit nom." Il crie encore une fois : "Quand on s'appelle Clin, on doit être chuif !" J'y réponds : "Ecoutez, moi j'ai jamais vu de chuif, je ne sais pas ce que c'est, mais je suis pas le gars contrariant, et si ça peut vous faire plaisir, je veux bien être chuif." Là, il se marre, et puis il me dit : "A quel âge avez-vous fait votre première communion ?" J'y réponds : "A onze-douze ans. J'étais même premier en catéchisme." Il dit : "Je vous salue, Marie. Vous continuez !..." Je continue : "Pleine de grâce..." Il dit : "Arrêtez, c'est suffisant, vous êtes pas chuif, malgré que vous appelez Clin. Au suivant !..." Le suivant, il avait tout écouté. Vous vous rappelez qu'en sortant de l'expert aryen, on avait droit à la soupe ? Le suivant, il passe à la soupe après moi, et il me dit : "T'as eu tout du con de lui dire que tu voulais bien être juif, tu vois les emmerdements que tu aurais eus ?" Je lui réponds : "Non, je vois pas. Quels emmerdements ? Même que je serais juif, je suis prisonnier de guerre comme tout le monde, non ? Pourquoi que comme juif j'aurais des emmerdements de plus que les autres copains ?" Il dit : "Ce serait trop long à t'expliquer..."
(PP. 127-128).

Allemands sur la ligne Maginot (d'après une photo Bundesarchiv, doc. JEA/DR). 

Histoires, dont une belge... 

Suite des notes de César Fauxbras.

- "Si les lignes Maginot étaient aussi solides qu'on le racontait, les Belges en auraient mis une tout autour de leur pays. Ils auraient été dans une île, comme les Anglais. Après ça, ils auraient pu nous dire, à nous et aux Fridolins : "Maintenant, foutez-vous sur la gueule à tour de bras, mais passez à côté, s.v.p. Nous, on en a marre d'être depuis des siècles victimes de vos Waterloo !..."
(21 juin 1940, p. 129).

- "Aux dernières nouvelles, le roi d'Angleterre s'est barré en Amérique avec la reine et ses deux moujingues. Churchill s'est nommé furère. Pétain a signé l'armistice mais ça ne comptera que quand Mussolini aura dit oui. C'est les Macaronis qui commandent, maintenant !... On aura tout vu !... Hitler a un million de parachutistes qu'il va lâcher sur Londres, en plus de ceux qui vont y aller en péniche. C'est pas mauvais, tout ça, hein ? Ca sent la classe à bref délai."
(23 juin 1940, p. 133).

Montage : la même voiture, vue de face - couverture du livre - et son profil gauche - doc. (Mont. JEA/DR).

Ma seule intervention personnelle sur ce livre se limitera à son illustration de couverture. Pour exprimer un malaise profond. En effet, la photo retenue pour symboliser la débâcle de 1940 est incongrue dans la mesure où elle se révèle totalement anachronique et induit une déplorable confusion entre deux drames.

En effet, la carcasse de voiture ainsi photographiée gît sur le site de l'ancien village d'Oradour-sur-Glanne. Cette localité du Limousin ne connut de la débâcle que des réfugiés et se situa en zone dite "libre" jusqu'à l'invasion de celle-ci en 1942.
Par contre et même si des révisionnistes de service le contestent, en un seul jour, le funeste 10 juin 1944, des SS de la division Das Reich voulurent rayer Oradour de la carte, réduisant cette localité à des ruines fumantes, laissant derrière eux 642 cadavres (dont 349 femmes et enfants enfermés dans l'église).

Pourquoi retenir un document photographique lié au 10 juin 1944 dans le Limousin, pour une histoire s'étendant du 29 mai au 6 juillet 1940, dans le Nord de la France puis au stalag XVII A en Autriche ? La réponse appartient aux Editions Allia.

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9 commentaires:

  1. @ JEA : votre oeil n'a pas laissé passer l'incongruité du choix iconographique des éditions Allia. Ils pourront toujours rétorquer que c'est une image emblématique de "la débâcle", mais on imagine qu'il y a des milliers d'autres photos dans les archives concernant cette époque.

    Là, ça tombe en effet mal. La rigueur historique du récit s'en trouve comme affectée malgré elle. Il faut espérer que cette faute éditoriale sera réparée.

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  2. Eclairé par vos explications du drame d'Oradour, cette voiture me paraît tout à coup particulièrement tragique... la partie avant ressemble à un grand cri noir et la deuxième photo nous montre un corps gisant.

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  3. Merci pour ces rappels historiques.

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  4. Ce n'est pas la première fois que votre regard débusque les anachronismes ou les à-peu-près. La volonté d'accrocher passe en premier chez les éditeurs, une note discordante pour un récit historique.
    Bonne journée, JEA.

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  5. Hum pardon, coquille dans mon dernier com "EclairéE par..."
    Bon wk JEA !

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  6. Pardonnez-moi encore JEA : avez-vous suivi le dernier incident belge... les propos d'Olivier Maingain à l'adresse de Bart De Wever et la réaction étonnante de l'association Joods Actueel ? Monsieur Gantsman n'a pas tout à fait tort, je crois. Qu'en pensez-vous ?

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  7. Encore pardon, j'oublie le pilote automatique...acceptez mes excuses.
    Bonne soirée, cher JEA.

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  8. Aujourd'hui, on comprend mieux. Un vrai noeud de vipères... faire sauter la Belgique c'est leur point commun et tout est bon comme moyen, même se servir des tragédies.
    http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/669248/de-wever-maingain-l-affrontement.html

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